Kassandra Thatcher
Mots : Muriel Françoise Photos : Sylvie Li
Le nouveau studio de Kassandra Thatcher, à Bushwick, n’a qu’une petite fenêtre donnant sur une cour. Un clair-obscur propice à la création de lampes et de sculptures aux courbes prononcées et au grain voilé le plus souvent de blanc. À 25 ans à peine, la poétesse muée en artiste autodidacte a le geste souple, et maîtrise la forme avec grâce. Rencontre.
Tu as étudié la poésie. Quel parcours t’a menée à la sculpture ?
Oui, je suis bachelière en poésie. Mon mentor soulignait toujours l’importance de la forme en écriture. Il insistait sur le fait qu’un geste pouvait être une chose en soi. J’ai composé des poèmes basés sur des observations très pointues de la vie et du mouvement.
J’étais déjà passionnée par l’argile en secondaire. Je suivais un cours facultatif de céramique, et j’adorais fabriquer des figurines. Après avoir travaillé longuement la forme pour exprimer les choses pendant mes études supérieures, je me suis éloignée du travail figuratif pour essayer d’intégrer ce que j’avais appris du langage dans un geste statique. À défaut d’argile à ma disposition à l’université, je me suis mise à travailler le métal, le papier, le plâtre et le bois. Ces matériaux m’ont permis d’envisager la forme d’une nouvelle façon. J’ai ensuite été engagée dans une galerie d’art, et j’avais désespérément besoin de créer en coulisse. J’ai donc renoué avec l’argile en essayant de reproduire dans cette matière ce que j’avais appris à faire dans d’autres. Le week-end, je travaillais pour l’artiste Stephen Antonson. Cela m’a donné l’élan nécessaire pour quitter mon boulot, et me consacrer pleinement à la sculpture.
Tes sculptures semblent effectivement souvent figer un mouvement. Ton passé de danseuse t’a-t-il inspiré leurs courbes ?
Oui, à 100 % ! J’ai fait de la danse moderne de 8 à 18 ans. Je n’avais jamais pris conscience, jusqu’à tout récemment, combien celle-ci est restée profondément enracinée dans mon corps. Apprendre dès le plus jeune âge à faire attention à la façon dont son corps et celui des autres existent dans l’espace est très particulier. Les formes avec lesquelles je joue quand je sculpte ressemblent beaucoup aux figures d’improvisation en danse. L’harmonie avec la manière dont mon corps se déplace entre, à côté, vers, loin, sous ou au-dessus d’autres corps guide mon geste créatif. Je parle d’ailleurs souvent de « gestes statiques » pour décrire mes sculptures.
Quel est ton processus créatif ? Les esquisses sont-elles un préliminaire indispensable à ta création ?
Mon processus créatif est assez informel. Je fais souvent des esquisses, mais juste pour poser des fragments épars d’images observées dans l’espace ou qui flottent dans ma tête. Je suis bien meilleure dans le travail en trois dimensions. Je crée avec de l’argile dont je coupe ou à laquelle j’ajoute souvent des bouts ici et là en me rendant compte que j’ai construit l’œuvre à l’envers, la retournant et essayant ensuite de rétablir l’équilibre dans l’autre sens. Souvent, j’essaie de développer un détail du mouvement dans la création suivante. Ma pratique passe par une itération constante de la forme et du geste. L’inconvénient de cette méthode, c’est que lorsque mon esprit n’est pas en phase avec mon corps, mon travail en pâtit.
Quels sont les artistes qui t’inspirent dans ta démarche artistique ?
Barbara Hepworth est mon idole, ma muse. Elle a été l’une des pionnières de la sculpture en taille directe, une approche où le processus fait partie intégrante de la forme finale. Son travail était par ailleurs très centré sur la relation entre les choses que j’explore également dans ma création.
Tu es allée en résidence d’artiste au Colorado l’été dernier. Que t’a apporté ce voyage ?
Ce voyage a changé ma vie. J’ai beaucoup appris au côté du sculpteur Matt Wedel dont le talent m’émerveille. Il construit des œuvres en céramique gigantesques, jusqu’à 3,5 tonnes ! Comme je suis essentiellement autodidacte, il m’a appris beaucoup de choses sur l’argile, et à voir grand ! J’y ai d’ailleurs créé ma plus grande pièce à ce jour, presque de ma taille. J’ai aussi été en mesure d’entrer en relation avec la sculpture et la matière hors de mon cadre de travail habituel, ce qui m’a recentrée sur ma pratique. Je suis revenue à l’origine des choses. Et je me suis souvenue combien j’avais besoin de jouer à nouveau avec la matière.