Sigrid Volders

Mots : Muriel Françoise Photos : Alex Profit

Artiste maquilleuse et céramiste, Sigrid Volders joue avec la couleur en s’affranchissant des normes. L’atelier qu’elle partage avec cinq amis créateurs dans un ancien magasin de meubles d’Anvers sert de laboratoire à ses recherches chromatiques et formelles. Rencontre avec une poétesse du quotidien au geste joyeux.

Céramique, maquillage artistique, art floral... ta création a plusieurs visages. D’où te vient cette curiosité ?
J’ai travaillé plus de dix ans comme artiste maquilleuse dans le milieu de la mode. Au fil du temps, je me suis sentie de moins en moins proche de cette industrie. J’aime imaginer un maquillage à partir des couleurs des vêtements, de l’univers d’un designer, et du style d’un photographe et d’un modèle. Ces inspirations croisées donnent un résultat magique. Mais la transition de l’analogique au digital s’est accompagnée d’une perte de liberté et de jeu essentiels à la création. Le projet fondateur Earth.Rope.Pot.Plant a pris forme de façon organique avec l’artiste textile Narelle Dore. Tout a commencé lorsque Piëtro Celestina, de la boutique anversoise Ateliers Solarshop, nous a demandé de concevoir des objets. Il avait trouvé aux puces des pots en céramique et des vieux miroirs auxquels il souhaitait offrir une seconde vie. Nous avons fabriqué des jardinières suspendues, des vases en bambou et des cordages pour les miroirs. D’autres boutiques et galeries nous ont ensuite approchées, et nous avons continué à imaginer des choses, comme une vitrine pour la boutique Nid a Deux, à Tokyo, et une installation de jardin complétée d’une exposition sur la cérémonie du thé pour l’espace artistique anversois Het Bos.

Tes céramiques sont très joyeuses. Est-ce avant tout le plaisir qui t’a menée vers cette discipline ?
Lors d’une recherche de céramiques contemporaines pour un projet d’Earth.Rope.Pot.Plant, nous avons collaboré avec les artistes Katharina Trudzinski et Elise Gettliffe. J’ai été fascinée pour la transformation de l’argile en un bel objet du quotidien, et j’ai suivi une formation à mi-temps pendant cinq ans. Je me suis concentrée sur l’art de la céramique après le départ de ma partenaire Narelle pour Londres. J’ai commencé de façon très spontanée. C’était une joie de créer des pièces de mes mains, de toucher de l’argile... Et c’est très vite devenu une passion. Au début, je fabriquais juste des choses pour remplacer ce que je trouvais banal ou ce qui manquait chez moi : des assiettes, des tasses, des théières, des lampes, des patères, des carrelages... C’était sans fin. Je crée aujourd’hui des céramiques pour neuf galeries et boutiques en Belgique, en France, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et au Japon.

Sous tes doigts, la terre prend des formes singulières. Tu sembles avoir un penchant pour les formes organiques et imparfaites...
Cela n’aurait aucun sens pour moi de faire un objet qui semblerait fabriqué à l’aide d’une machine. Le plus beau compliment que l’on puisse me faire est de me dire qu’on ressent le plaisir que j’ai eu à créer un objet en l’utilisant ! Je pense que l’on devine toujours un peu la personnalité d’un artisan dans une pièce. J’aime les formes organiques dans la matière qu’il s’agisse d’une roche polie par la mer, d’une branche brisée ou encore de tissus usés… J’adore faire des promenades dans la nature. Je suis constamment émerveillée par sa beauté ! Notamment par la façon dont les fleurs et les plantes prennent et perdent leur couleur et leur forme.

Ta large palette de couleurs et ton audace pour marier celles-ci sont-elles inspirées de ton expérience d’artiste maquilleuse ?

On m’en fait souvent la remarque. J’ai toujours été inspirée par les couleurs et par leur association qu’il s’agisse de maquillage ou d’émaillage. Je passe beaucoup de temps dans mon atelier à faire des recherches et à élaborer des recettes pour l’habillage de mes céramiques.

Qu’espères-tu que tes céramiques apportent aux maisons qui les accueillent ?
Au printemps dernier, mon amoureux et moi avons fait un grand nettoyage parmi notre vaisselle. Nous n’avons conservé que nos pièces préférées : un mélange de mes créations, de pièces d’autres céramistes collectionnées au fil des ans et de trouvailles vintage. Lorsque je dresse la table ou que je me prépare un thé, je sors de l’armoire des objets que j’aime, et lorsque je les utilise, cela me fait sourire. Je souhaite que mes céramiques apportent la même joie aux autres.

Y a-t-il un objet que tu rêves de créer ?
Pas un objet en particulier, mais plutôt une façon de travailler. Je rêve de productions en séries limitées hors de mon studio. Cela me donnerait le luxe de pouvoir me concentrer sur la création de pièces uniques, de poursuivre mes recherches sur l’émaillage, et de faire ce que je préfère : sculpter de façon libre et poétique.

instagram.com/sigridvolders/

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Kassandra Thatcher

Mots : Muriel Françoise Photos : Sylvie Li

Le nouveau studio de Kassandra Thatcher, à Bushwick, n’a qu’une petite fenêtre donnant sur une cour. Un clair-obscur propice à la création de lampes et de sculptures aux courbes prononcées et au grain voilé le plus souvent de blanc. À 25 ans à peine, la poétesse muée en artiste autodidacte a le geste souple, et maîtrise la forme avec grâce. Rencontre.

Tu as étudié la poésie. Quel parcours t’a menée à la sculpture ?
Oui, je suis bachelière en poésie. Mon mentor soulignait toujours l’importance de la forme en écriture. Il insistait sur le fait qu’un geste pouvait être une chose en soi. J’ai composé des poèmes basés sur des observations très pointues de la vie et du mouvement.
J’étais déjà passionnée par l’argile en secondaire. Je suivais un cours facultatif de céramique, et j’adorais fabriquer des figurines. Après avoir travaillé longuement la forme pour exprimer les choses pendant mes études supérieures, je me suis éloignée du travail figuratif pour essayer d’intégrer ce que j’avais appris du langage dans un geste statique. À défaut d’argile à ma disposition à l’université, je me suis mise à travailler le métal, le papier, le plâtre et le bois. Ces matériaux m’ont permis d’envisager la forme d’une nouvelle façon. J’ai ensuite été engagée dans une galerie d’art, et j’avais désespérément besoin de créer en coulisse. J’ai donc renoué avec l’argile en essayant de reproduire dans cette matière ce que j’avais appris à faire dans d’autres. Le week-end, je travaillais pour l’artiste Stephen Antonson. Cela m’a donné l’élan nécessaire pour quitter mon boulot, et me consacrer pleinement à la sculpture.

Tes sculptures semblent effectivement souvent figer un mouvement. Ton passé de danseuse t’a-t-il inspiré leurs courbes ?
Oui, à 100 % ! J’ai fait de la danse moderne de 8 à 18 ans. Je n’avais jamais pris conscience, jusqu’à tout récemment, combien celle-ci est restée profondément enracinée dans mon corps. Apprendre dès le plus jeune âge à faire attention à la façon dont son corps et celui des autres existent dans l’espace est très particulier. Les formes avec lesquelles je joue quand je sculpte ressemblent beaucoup aux figures d’improvisation en danse. L’harmonie avec la manière dont mon corps se déplace entre, à côté, vers, loin, sous ou au-dessus d’autres corps guide mon geste créatif. Je parle d’ailleurs souvent de « gestes statiques » pour décrire mes sculptures.

Quel est ton processus créatif ? Les esquisses sont-elles un préliminaire indispensable à ta création ?
Mon processus créatif est assez informel. Je fais souvent des esquisses, mais juste pour poser des fragments épars d’images observées dans l’espace ou qui flottent dans ma tête. Je suis bien meilleure dans le travail en trois dimensions. Je crée avec de l’argile dont je coupe ou à laquelle j’ajoute souvent des bouts ici et là en me rendant compte que j’ai construit l’œuvre à l’envers, la retournant et essayant ensuite de rétablir l’équilibre dans l’autre sens. Souvent, j’essaie de développer un détail du mouvement dans la création suivante. Ma pratique passe par une itération constante de la forme et du geste. L’inconvénient de cette méthode, c’est que lorsque mon esprit n’est pas en phase avec mon corps, mon travail en pâtit.

Quels sont les artistes qui t’inspirent dans ta démarche artistique ?
Barbara Hepworth est mon idole, ma muse. Elle a été l’une des pionnières de la sculpture en taille directe, une approche où le processus fait partie intégrante de la forme finale. Son travail était par ailleurs très centré sur la relation entre les choses que j’explore également dans ma création.

Tu es allée en résidence d’artiste au Colorado l’été dernier. Que t’a apporté ce voyage ?
Ce voyage a changé ma vie. J’ai beaucoup appris au côté du sculpteur Matt Wedel dont le talent m’émerveille. Il construit des œuvres en céramique gigantesques, jusqu’à 3,5 tonnes ! Comme je suis essentiellement autodidacte, il m’a appris beaucoup de choses sur l’argile, et à voir grand ! J’y ai d’ailleurs créé ma plus grande pièce à ce jour, presque de ma taille. J’ai aussi été en mesure d’entrer en relation avec la sculpture et la matière hors de mon cadre de travail habituel, ce qui m’a recentrée sur ma pratique. Je suis revenue à l’origine des choses. Et je me suis souvenue combien j’avais besoin de jouer à nouveau avec la matière.

kassandrathatcher.com

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YYY

Mots : Muriel Françoise Photos : Sylvie Li

L’appartement de l’artiste Mérida Anderson dans le quartier d’Outremont, à Montréal, est coloré et accueillant. Ses céramiques, connues sous la marque YYY, se mêlent à des meubles vintage, aux créations d’ami.e.s* makers et à des plantes dans une joyeuse jungle urbaine. Ce dimanche soir, des gens de tous les âges prennent place dans l’intérieur bohème pour un Vegan Secret Supper, un dîner végétalien préparé par Mérida, qui a fondé le club éponyme en 2007, à Vancouver. Des assiettes composées avec goût se succèdent alors que les langues se délient.

« Je suis devenu.e végane à seize ans, et j’ai rapidement mis la main à la pâte. Ces dîners étaient un moyen de partager ma cuisine, ainsi que de créer un rendez-vous d’un genre assez nouveau à l’époque. Je voulais également créer un livre de recettes végétaliennes, ce qui a été facilité par ce projet. Je travaille d’ailleurs à mon deuxième ouvrage. »

Après quelques années passées à New York, Mérida a pris racine à Montréal en 2013. Le bâtiment qui abrite son atelier, dans le quartier industriel en pleine métamorphose du Mile Ex, à vingt minutes de vélo de son appartement, rassemble un collectif de designers, d’artisan.e.s et d’artistes.

« J’aime cet endroit. J’ai beaucoup d’ami.e.s qui y travaillent depuis plusieurs années. Je m’y sens comme à la maison. »

Les étagères de son espace créatif sont garnies de vases, théières, carafes, tasses, bols, bougeoirs, lampes et boîtes aux couleurs toniques ou iridescentes, et aux imprimés très graphiques, du terrazzo classique au pointillisme moderne. Des objets qui traduisent son intérêt pour un design audacieux.

« J’essaie d’apporter une forme d’art tactile aux gens. Ces choses utiles plus particulières que des tasses ordinaires permettent une relation directe avec celui-ci. »

À l’ombre de ses vies d’artiste et de chef.fe, Mérida adore dessiner, et illustre d’ailleurs un jeu de tarot depuis six ans. L’artiste multidisciplinaire joue et chante également dans une chorale queer baptisée « The Forever Chorus ». Avec, toujours, le partage comme fil rouge.

yyycollection.com

vegansecretsupper.com

* L’écriture inclusive a été choisie pour cet article dans le respect de l’identité de genre de Mérida.

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