Ferréol Babin

Mots : Muriel Françoise Photos : Ferréol Babin

Designer de formation, Ferréol Babin a délaissé la perfection de l’objet industriel au retour d’un long séjour au Japon pour l’émotion de la pièce brute, faite main. Dans sa nouvelle maison près de Nantes, bâtie avec sa compagne Elsa, il laisse son instinct s’exprimer librement, cultive l’art du lâcher-prise et infuse chacun de ses gestes d’une poésie sensible. Rencontre.

Vous avez emménagé l’été dernier dans une maison construite de vos mains dans la campagne nantaise. Comment l’avez-vous voulue ?

Le terrain que j’ai acheté avec ma compagne Elsa est en forte pente. Tout le sol est en granit et en sable de granit. Nous avons fait creuser la roche ; la maison est donc ancrée dans celle-ci. Nous avons posé les baies vitrées de façon à suivre le soleil. D’une part, pour la lumière et, d’autre part, pour le chauffage. Nous voyons la roche toute la journée. Lorsqu’il pleut, nous regardons l’eau ruisseler sur la pierre... c’est notre télévision ! À l’intérieur, tout est blanc. Nous avons voulu un cadre neutre afin que ce soient les plantes et les objets que je fabrique qui amènent de la couleur et de la matière. Tout a été pensé pour profiter des petits plaisirs éphémères auxquels on ne prête pas nécessairement attention d’ordinaire.

On sent précisément votre maison très enracinée dans son cadre naturel. De quelle façon cette proximité avec la nature nourrit-elle votre travail créatif ?

Plus je m’ancre dans la nature, plus ma sensibilité pour celle-ci et les éléments grandit, et plus mon travail devient aléatoire, asymétrique et granuleux. Nous vivons près de l’océan. Toute la Côte est assez sauvage et rude. Je pense que cela se ressent dans mes pièces qui ont l’air un peu torturées, abîmées... Le bois que j’utilise depuis quelques mois pour sculpter mes cuillères provient par ailleurs des arbres que j’ai dû couper pour construire la maison. Tout a une histoire. Et c’est pareil pour les céramiques dans lesquelles j’intègre le granit concassé extrait du terrain, ce qui leur donne un aspect très brut avec des aspérités, comme s’il y avait des cristaux dedans.

Quels sont les objets dont vous vous entourez ?

C’est simple, nous n’avons aucun objet de designer à la maison. Les objets qui sont là sont voués à disparaître lorsqu’ils seront vendus ou que nous nous en lasserons. De la même manière que la nature est en mouvement constant, rien n’est figé. Lorsque nous avons besoin d’un meuble, je le fabrique. Si nous voulons en changer d’ici quelques années, je le démonterai et je récupérerai le bois pour autre chose. Je n’ai pas d’attaches particulières aux choses. Je ne suis pas matérialiste du tout.

Depuis l’automne dernier, vous façonnez des céramiques au fini très brut, presque primitif. Quel est votre processus créatif ?

Tout comme pour mon travail du bois, j’ai une approche très autodidacte et intuitive. Quand j’aborde un matériau, j’essaie de ne pas me confronter tout de suite à la technique ou aux traditions pour celui-ci. J’ai donc travaillé la céramique d’une manière primitive. J’ai pris la terre en main, je l’ai mélangée avec du sable et du granit, puis j’ai commencé à la déformer, à la maltraiter pour voir ce que je pouvais en faire, et j’ai envisagé ce que cela pouvait donner avec un émail. Cette façon de faire, libérée d’un enseignement, me permet d’être dans l’expression pure et dans une sorte de force ou d’énergie que j’ai besoin de transmettre. Ce travail non maîtrisé me permet aussi de donner naissance à un objet surprenant. De la même manière que lorsqu’on ramasse un caillou, on peut le regarder mille fois et y voir mille détails différents.

L’amour de la terre s’observe également dans votre assiette, exclusivement végane. La gastronomie est-elle pour vous une seconde nature ?

Je pense qu’au cœur de tout ça, on retrouve encore un intérêt pour la nature et les matériaux, ainsi qu’une approche instinctive et primitive des choses. La cuisine est également un moyen de créer. Avec la céramique ou le bois, je peux fabriquer des objets qui vont durer dans le temps. La cuisine est une autre manière d’émouvoir ou de m’exprimer avec un côté très éphémère et spontané. Pour moi, une cuisine est aussi un atelier. Les ingrédients sont aussi des matériaux. Et, enfin, ce qu’il y a dans l’assiette est aussi une sculpture.

ferreolbabin.fr

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Christine et Nick

Mots : Muriel Françoise Photos : Sylvie Li

Le loft de l’architecte Christine Djerrahian et de l’entrepreneur Nick d’Urbano, au centre-ville de Montréal, surplombe le jardin d’une cathédrale. Le bâtiment qui l’abrite est une ancienne imprimerie du début du siècle dernier, à quelques minutes de marche de celle du grand-père de Christine au Vieux-Port. Ces New-Yorkais d’adoption, qui se sont rencontrés à l’ouest de l’île à dix-huit ans, ont décidé de revenir à Montréal pour fonder une famille et développer leurs projets professionnels.

« Montréal a beaucoup changé ces dernières années. Il y a plusieurs studios de design et d’architecture incroyables. Il était important pour nous de faire partie de la renaissance de la ville. »

Le loft aux murs de briques et aux hauts plafonds est le premier projet du Future Simple Studio fondé en 2019 par Christine. Dans cet espace au passé industriel ravivé, deux grandes boîtes vitrées, réservées aux chambres, permettent de conjuguer envie d’espace et besoin d’intimité. L’architecte s’est lancé le défi d’intégrer la nature en milieu urbain. Le bois a donc ici la part belle. Il structure et meuble l’espace, et lui donne une âme. La végétation grimpe sur les cloisons, se reflète sur les miroirs et vitres qui renvoient la lumière du soleil. Un terrain de jeux parfait pour Milo, deux ans.

« Nous entendons le bruit de la ville, mais nous ne voyons que des feuilles. C’est une expérience de vie assez surréaliste, un peu comme une bulle dans la ville. »

Le minimalisme, dans son interprétation humaniste, régit les lieux. L’intérieur compte ainsi peu de meubles, presque tous de designers québécois ou de la main de Christine.

« Si un objet ne possède pas une histoire ou ne reflète pas une émotion forte, il ne mérite pas de venir dans le loft. Il y a, par exemple, dans le coin bureau, une vieille machine à écrire d’une boutique vintage de Tribeca que Nick m’a offerte pour mes trente ans. Je restais toujours en admiration devant elle lorsque je passais devant la vitrine. »

Le goût des choses justes a inspiré à Christine la création de la marque de sacs Atelier YUL en 2016. Ces collections pensées pour les créatifs, accompagnés de projets ou d’équipements peu compatibles avec l’offre de l’industrie de la mode, sont fabriqués à Montréal après une phase de prototypage qui se fait souvent avec une machine à coudre sur le long îlot de pierre de la cuisine. Dans cette grande pièce aux airs de galerie des glaces, les matins de week-end, la vie s’écoule lentement sur un fond de jazz avec du café dont les grains proviennent de torréfacteurs locaux ou du Blue Bottle Coffee par nostalgie de la vie new-yorkaise de Christine et de Nick.

futuresimple.studio
theatelieryul.com

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