Morgane Raharina

Mots : Muriel Françoise Photos : Morgane Raharina

La photographe Morgane Raharina vit au dernier étage d’un immeuble au charme suranné édifié au-dessus d’un temple. Dans son appartement avec vue sur les toits de Paris, des clichés témoignent de ses talents d’observatrice urbaine. Lors de ses balades, l’ancienne journaliste imprime à son travail une poésie dont le carnet et l’exposition « Paris Diptypque », à la galerie French Touche jusqu’au 25 février, permettent d’apprécier la singularité. Regards croisés sur la ville et les hommes.

Comment l’idée de photographier la ville où tu vis depuis dix-huit ans t’est-elle venue ? Quelle était l’envie qui te portait ?

J’ai vécu plusieurs années en Martinique avant de rejoindre Paris. Je ne me souviens pas du moment où j’ai décidé de photographier cette ville, mais, avec le recul, il me semble que j’avais perçu dans ce médium, et notamment dans les cadrages qu’il me permettait de faire, le moyen de retrouver le calme, le vide, l’espace, la sérénité qui étaient mon quotidien là-bas. Mes plans rapprochés, mes cadrages serrés, la feuille d’un arbre tombée au sol, le café posé sur une table de bistrot, les pigeons, tous ces bouts de vie étaient, sans doute, une façon de définir ce qui m’apaisait et me préservait des tensions de la ville avec ses plans plus larges, la foule, les voitures, le métro… Après une enfance passée à Madagascar, ma vie d’étudiante dans le sud de la France et ces années aux Antilles, venir à Paris n’a pas été chose facile ; je crois que c’est grâce à la photographie que j’ai appris à aimer cette ville.

Tes photos ont souvent des cadrages qui rappellent ceux du monde cinématographique. D’où te vient ce regard ?

J’ai été chroniqueuse ciné à la radio quelques années. C’est peut-être mon amour du cinéma, mais j’ai une approche très intuitive de la photographie. Si mes cadrages ne sont pas réfléchis, je pense qu’ils cherchent tout de même, inconsciemment, à raconter une histoire. Peut-être aussi que la dimension poétique du cinéma, qui autorise une approche moins frontale, qui suggère plus qu’elle n’impose, recadre dans le cadre, laisse un premier plan flou, m’inspire. Mon cadrage parle de ce que j’attends de la photographie, et reflète finalement un peu ce que je suis dans la vie. Il donne cette possibilité de ne pas être acteur, mais davantage spectateur du monde dans lequel on vit. J’aime l’idée de m’arrêter sur le seuil d’une porte, de regarder, d’écouter sans participer et de photographier sans être vue. On apprend beaucoup à ne pas agir constamment et à ne pas se montrer.

As-tu des rituels particuliers ou des postes d’observation privilégiés ?

Le seul rituel que j’observe est de sortir presque chaque jour avec mon appareil photographique que je garde en bandoulière. Il est lourd, mais il me rassure. Je ne suis jamais à l’affût d’une photographie à prendre, mais j’aime le savoir près de moi, avoir cette possibilité de vite le déclencher quand une chose me parle ou me touche. Dans la rue, c’est la singularité d’une démarche ou d’une attitude qui, souvent, m’attire.

Tes clichés renvoient l’image d’un Paris tranquille délicieusement rétro. Une certaine nostalgie t’habiterait-elle ?

Oui, je le pense… On me parle aussi beaucoup de mélancolie. C’est peut-être cette nostalgie qui m’amène instinctivement à privilégier une composition graphique, simple et minimaliste. J’ai tendance à rechercher des lignes, des contrastes ; à proposer des cadrages décalés, un peu éloignés des règles habituellement utilisées en photographie. J’essaie, par ce biais, d’introduire un peu de modernité. Derrière le Paris que je propose, la nostalgie qui m’habite, j’espère que l’on ressent tout de même un peu de poésie contemporaine.

Quels sont les photographes ou les artistes qui t’inspirent dans ta pratique ?

Je pense m’inspirer principalement des photographes humanistes qui privilégient la spontanéité, l’instinct, l’émotion. Mais je suis très éclectique. J’aime la démarche photographique de Bernard Plossu, notamment dans « Marseille en autobus » pour sa liberté d’approche, ses cadrages un peu « chaotiques ». Le photographe italien Luigi Ghirri est celui dont je me sens le plus proche pour les sujets ordinaires qu’il photographie et regroupe en séries. Je suis fascinée par les portraits de Dave Heath dans « Dialogues with solitudes » aux éditions Le Bal 2018. Ce sentiment de solitude est assez présent dans les photographies que j’affectionne et dans les tableaux qui m’interpellent ; ceux d’Edward Hopper notamment. Et je le retrouve un peu dans les natures mortes du peintre italien Giorgio Morandi dont les couleurs peu saturées et la sobriété des dessins me touchent. L’architecture m’intéresse également, car elle m’ouvre aux lignes, franches et minimalistes. Le modernisme, le brutalisme, la Cité radieuse de Le Corbusier, que je photographie beaucoup dès que je reviens à Marseille, et le béton brut de Tadao Ando. La matière, les imperfections, l’aspect brut et artisanal des œuvres quelles qu’elles soient me parlent. La lumière est bien sûr importante ; je pense à une photographie de rue de deux adolescentes américaines dans « The age of adolescence » du photographe américain Joseph Sterling qui résume à elle seule la lumière que j’aime. Celle également de «  Supermarket boy with carts » de William Eggleston, la lumière de Saul Leiter dans « Early color » ou celle des tableaux du peintre Camille Corot qui, avec Albert Marquet, fait partie de mes peintres favoris.

Quel est le fil rouge qui relie les clichés que tu présentes dans l’exposition « Paris diptyque », à la galerie French Touche ?

Paris, telle que je me la représente et qui n’est peut-être pas l’idée première qu’on peut se faire de cette ville. J’y parle de silence, de vide, de solitude. J’expose des affiches sans leurs slogans publicitaires, ce qui autorise un nouveau dialogue, les yeux dans les yeux du modèle qui nous observe, une ville apaisée, une balade imaginaire et des passants solitaires presque sortis du «cadre ». Tout cela est proposé sous forme de diptyque pour s’attacher au sujet ou à l’objet photographié, et oublier le contexte, le lieu dans lequel il a été photographié. J’espère, le temps de cette exposition, amener les gens à redécouvrir Paris et la vie urbaine en général, montrer une certaine quiétude dans le tumulte, une nostalgie dans le contemporain, le regard d’un modèle dans l’injonction publicitaire… Et toutes ces petites choses qu’on ne voit plus à force de les côtoyer au quotidien.

Où emmènerais-tu une amie de passage pour lui faire découvrir ton Paris ?

Dans un vieux bistrot avec, si possible, une partie PMU, ses parieurs hippiques, ses habitués, le brouhaha, les tasses de café sur les tables, le journal qui circule de mains en mains, les morceaux de papiers qui jonchent le sol à la verticale du comptoir, les choses simples de la vie quotidienne. Ce que j’aime photographier.

morganeraharina.wixsite.com / @morgane.raharina

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