La Réunion

Mots : Muriel Françoise Photos : Kate Berry et Ritchie Jo

Dans ses robes, vestes et pantalons en patchworks griffés La Réunion, Sarah Nsikak fait plus que donner une nouvelle jeunesse à des tissus mal aimés, elle met bout à bout des pans du passé avec comme fil rouge l’Afrique de ses ancêtres. Et tente de réparer, d’un même geste, les oublis de notre temps.

Comment ton envie de créer des vêtements en patchwork s’est-elle manifestée ?

J’ai quitté Oklahoma City pour New York en 2017 afin de travailler pour une marque de mode qui revendiquait une production éthique en Afrique, ce qui s’est révélé être un leurre. J’ai été témoin d’écoblanchiment et d’abus, et j’ai perdu mes illusions. J’en étais presque venue à croire que cette dérive était incontournable dans l’industrie de la mode. Il était dès lors crucial pour moi d’envisager les choses autrement. Après avoir toujours conçu des petites pièces avec des tissus recyclés grâce à ma grand-mère, ancienne couturière au Nigeria, qui m’avait appris le métier enfant, j’ai lancé la marque La Réunion fin 2019. Mon objectif était de créer des choses inspirées par l’Afrique, et produites de façon durable. Je voulais qu’une intention forte soit à l’origine de celles-ci. Ne pas me contenter de fabriquer parce que je savais le faire. Ma première collection capsule de robes patchwork a vu le jour en mai 2020, à un moment d’une profonde tristesse. La Covid-19 avait durement éprouvé New York. Nous étions confinés depuis plusieurs mois. Je n’avais plus de travail, mais j’avais du temps pour créer quelque chose avec du sens. Je me revois en train de me dire : « que puis-je faire pour me faire du bien à un moment où tout semble impossible ? » La mode a ce pouvoir incroyable de vous permettre de vous évader ou de croire que vous êtes quelqu’un d’autre, même dans les moments les plus difficiles. Fabriquer quelque chose que je pourrais porter m’est apparu comme une évidence.

Aux quatre coins du monde, le patchwork a une longue histoire derrière lui, ravivée par de nombreux créateurs de mode contemporains. Quel est l’héritage dont tu t’inspires ?

Lorsque je me suis installée à New York, j’ai fait des recherches sur l’art africain, car j’étais frustrée qu’il n’ait jamais été abordé lors de mes études. Tellement d’artistes et de designers s’inspirent de l’Afrique sans jamais lui rendre hommage de quelconque façon. Je me suis penchée sur l’artisanat textile, et après m’être prise de passion pour les courtepointes de Gee’s Bend, je suis tombée sur des photos de femmes Héréros (NDLR : peuple autochtone de l’Afrique australe vivant en Namibie) aux tenues colorées et formées de patchworks. J’ai été charmée par leur élégance, mais aussi outrée de n’avoir jamais eu vent de leur histoire. J’ai lu comment les Allemands avaient tenté d’exterminer leur peuple au début du 20e siècle, et comment elles avaient su réinventer le style vestimentaire de leurs oppresseurs. Il s’agit d’une grande preuve de résilience à l’image de ce que les Noirs font depuis la nuit des temps : transformer un symbole douloureux en quelque chose de beau. C’est à la fois un acte de rébellion et d’une immense force. Leurs histoires sont parmi les plus impressionnantes que j’ai entendues dans ma vie. Elles ont métamorphosé la jeune femme afro-américaine en quête d’identité que j’étais.

De quelle façon fais-tu de tes vêtements en patchwork les nouveaux indispensables de la garde-robe moderne ?

J’ai trouvé des vêtements en patchwork dans toute l’histoire de la mode. Ils ont parfois davantage attiré l’attention, mais ils ont toujours été là. Je les rends essentiels en les rendant uniques. Il y a, pour chacun d’eux, une réelle connexion avec la personne qui le porte, car je l’ai créé spécialement pour elle. J’espère que cela renforce l’idée qu’il est fait pour être porté et porté encore par elle, et ensuite peut-être par une autre personne chère à son cœur !

lareunionstudio.com

Et aussi